Retour sur un procès perdu

L’État français — ou plus précisément le Ministère de l’Agriculture – ainsi que ses acolytes, le GNIS (Groupement National Interprofessionnel des Semences et Plants – un organisme hybride public-privé) et la FNPSP (Fédération Nationale des Professionnels de Semences Potagères et Florales), ont poursuivi l’Association KOKOPELLI devant la Justice et ils ont gagné leur procès. Cela n’est plus aujourd’hui un secret pour personne. Ce qu’il l’est en revanche davantage, ce sont les raisons pour lesquelles KOKOPELLI n’a pas eu gain de cause.

LES DIFFÉRENTES ÉTAPES DE CETTE LONGUE ÉPOPÉE JUDICIAIRE

  1. Les 19 mai et 28 juillet 2004, l’association recevait dans ses locaux d’Alès une visite des agents de la Répression des Fraudes — parmi lesquels se trouvait d’ailleurs un agent fonctionnaire détaché du GNIS. Après avoir fait le recensement minutieux des sachets de graines présentés en boutique, mais également des factures émises et des variétés mises en vente sur le site Internet, ceux-ci prenaient l’initiative, en novembre 2004, de dresser un procès-verbal constatant la commission de quelques 6643 infractions aux règles régissant la commercialisation et l’étiquetage des semences. Ayant assuré la transmission de ce procès-verbal au Procureur de la République, Dominique GUILLET, Président de l’association, fut cité à comparaître devant le Juge de Proximité d’Alès. Il lui était reproché d’avoir commercialisé des semences de variétés non inscrites au Catalogue Officiel, en violation des dispositions du décret du 18 mai 1981 notamment.
  2. À la surprise générale, et malgré le fait que, Dominique GUILLET étant absent, il n’ait pas été mis en mesure de présenter sa défense, le magistrat saisi décidait, par un jugement du 14 mars 2006, de relaxer le président de l’association. Les motifs de sa décision, particulièrement étoffée, faisaient en effet le constat de l’incompatibilité de la réglementation française avec les objectifs poursuivis par une directive communautaire de 1998. Cette directive prévoyait, dans un but affiché de sauvegarde de la biodiversité agricole, la fixation de conditions particulières pour l’inscription au Catalogue Officiel des variétés dites “de conservation”, c’est-à-dire des variétés anciennes menacées d’érosion génétique.
  3. Suite au jugement rendu par le Juge de Proximité d’Alès, l’État décidait de faire appel. Il était suivi en cela par le GNIS et la FNPSP, en leur qualité de parties civiles. La Cour d’Appel de Nîmes, par un arrêt rendu le 22 décembre 2006, infirmait le jugement de première instance et disait Dominique GUILLET coupable des infractions qui lui étaient reprochées. Ecartant cependant les infractions liées à l’étiquetage des semences, elle réduisait le nombre de contraventions à 3426, pour un montant arbitré chacune à 5 €. Dominique GUILLET se voyait donc condamné à payer une amende de 17.130 €. Par ailleurs, estimant que le GNIS et la FNPSP avaient souffert des agissements de l’association, la Cour d’Appel accueillait favorablement leur action en leur accordant 1 € de dommages et intérêts, ainsi que le remboursement de leurs frais de justice, à hauteur de 300 euros chacun.
  4. C’est donc KOKOPELLI, cette fois, qui décidait de former un pourvoi en cassation. Devant cette cour suprême, l’association développait 4 types d’arguments : les uns relatifs à l’existence purement matérielle des faits reprochés, les seconds tenant à la procédure suivie par les agents verbalisateurs et à leur interprétation des faits, les autres abordant le fond du problème, et les derniers touchant à la recevabilité du GNIS en qualité de partie civile.

Cette corporation se trouvait donc renvoyée dans ses buts. La seconde, le F.N.P.S.P., obtenait en revanche la condamnation de Dominique GUILLET à lui verser 3.000 € au titre des frais engagés pour la défense de ses prétentions. L’État, de son côté, obtenait de la Cour de Cassation la confirmation de l’arrêt de la Cour d’Appel de Nîmes, soit la condamnation du président de l’association à payer une amende de 17.130 euros. À cela, devaient s’ajouter les frais de publication de cette décision dans quatre revues professionnelles, au choix de la F.N.P.S.P., et pour un montant maximal de 2.000 €. Ainsi, malgré tous les efforts déployés, l’association KOKOPELLI a perdu. Cependant, perdre un combat devant les tribunaux ne signifie pas perdre la guerre. En vérité, le soutien apporté à l’association par la société civile lui a donné la victoire. Bien plus que personne ne pouvait se l’imaginer. Tout d’abord, l’association tentait ainsi de dénoncer les erreurs commises par la Répression des Fraudes lorsqu’elle visait dans son procès-verbal, à tort, des variétés dont le nom figurait effectivement au Catalogue Officiel. Il s’agissait par exemple du poireau “Monstrueux de Carentan”, mais également des tomates “Orange queen”, “Banana legs” ou “Noire de crimée”, lesquelles se trouvaient citées plusieurs fois par erreur dans le procès-verbal initial. À ces observations, purement factuelles, la Cour n’a rien répondu. En effet, il est de mise que la Cour de Cassation ne s’intéresse qu’au droit. Même si nous n’ignorions pas cette règle, nous avons souhaité attirer l’attention de la Cour sur ces éléments, car la Cour d’Appel avant elle ne les avait pas véritablement pris en considération.

  • En second lieu, KOKOPELLI tentait de rappeler que le catalogue publié sur le site Internet du GNIS, sur lequel se sont basés les agents verbalisateurs pour vérifier l’existence des infractions, n’a aucune valeur juridique et qu’il n’est qu’un inventaire purement indicatif des variétés inscrites au Catalogue Officiel. En effet, le seul catalogue véritablement officiel est tenu par le Ministre de l’Agriculture lui-même, et résulte de la somme des arrêtés ministériels, quasi quotidiens, portant inscription et radiation des variétés au Catalogue. La Cour de Cassation, sans démentir l’association sur ce point précis, estimait que celle-ci ne démontrait pas avoir souffert du décalage pouvant exister entre le véritable catalogue et la compilation du GNIS. Ces distorsions, relativement fréquentes, se retrouvaient pourtant dans certaines des erreurs commises par les agents verbalisateurs de la Répression des Fraudes. Dans le même sens, l’association contestait devant la Cour de Cassation la validité du calcul du nombre total d’infractions, qui avait consisté à faire la somme, dans certains cas, des sachets de semences mis en vente, et dans d’autres des variétés commercialisées sur le site Internet de KOKOPELLI. Pourquoi, dans ce contexte, ne pas avoir également fait le compte des graines présentes dans chaque sachet ? Le code de la consommation, particulièrement imprécis, puisqu’il se réfère à la notion de “produit” mis sur le marché, ne satisfaisait pas, dans cette hypothèse, à l’exigence de clarté et de prévisibilité du droit, qui sont les composantes même des principes de sécurité juridique et de légalité, selon lesquels, notamment, nul ne saurait être poursuivi si son comportement n’est pas incriminé par la loi. Pourtant, malgré son absurdité, ce mode de calcul, avalisé par la Cour d’Appel, le fut également par la Cour de Cassation.
  • En troisième lieu, et sur le fond enfin de l’affaire, KOKOPELLI faisait valoir le fait que, depuis 1998, les directives Européennes prévoyaient la mise en place d’un régime particulier aux “variétés de conservation” (cette expression voulant signifier les variétés anciennes menacées d’érosion génétique) afin d’autoriser l’inscription de celles-ci, dans des conditions assouplies, au Catalogue Officiel. L’association avait elle-même demandé aux autorités françaises de bénéficier de ces conditions pour l’inscription de sa collection. De même, le décret français de 1981 prévoyait, depuis 2002, la possibilité pour le Ministre de l’Agriculture de fixer, “en tant que de besoin”, des conditions particulières de commercialisation des semences pour les besoins de « la conservation in situ et l’utilisation durable des ressources génétiques des plantes ». Ces textes étant restés lettre morte, KOKOPELLI en revendiquait devant la Cour l’application à son bénéfice. Cependant, les conditions attachées à ces dispositions particulières ne permettaient pas leur application immédiate. En effet, une procédure de consultation du Comité Permanent des Semences, organisme interétatique rattaché à la Commission Européenne, devait être mise en œuvre, préalablement à toute décision. Or ce comité, depuis 1998, n’avait émis aucun avis définitif sur cette question, paralysant ainsi l’application de ces dispositions. Dès lors, sur ce point, la Cour de Cassation a confirmé l’analyse de la Cour d’Appel : l’État français n’avait pas formellement l’obligation de prévoir l’inscription dans des conditions particulières des variétés de conservation au Catalogue Officiel. Si nous devions faire le parallèle avec une situation juridique nationale, il faudrait comprendre de tout cela que le décret d’application de la loi, 10 ans après l’adoption de celle-ci, n’était toujours pas paru. Aujourd’hui pourtant, c’est partiellement chose faite. En effet, une directive est parue au mois de juin 2008, qui prévoit des conditions particulières d’admission des variétés agricoles naturellement adaptées aux conditions locales et régionales et menacées d’érosion génétique. Cependant, il n’y aucun lieu de s’en réjouir, car les conditions, particulièrement restrictives, posées à la production et à la commercialisation de ces variétés, consacrent une vision fixiste de la biodiversité, et vont aggraver encore, s’il en était besoin, l’érosion génétique de nos variétés agricoles. En définitive, ce texte nouveau constitue un outil de répression et de contrôle de plus (Voir encadré ci-dessous). Ces dispositions nouvelles relatives aux variétés de conservation n’auraient donc pas permis à KOKOPELLI d’éviter une condamnation. Pourquoi les variétés commercialisées par KOKOPELLI n’étaient-elles donc pas inscrites au Catalogue Officiel ? En vérité, ce catalogue, qui fait la part belle aux variétés “modernes” non reproductibles et protégées par un droit de propriété intellectuelle, pose des conditions à son accès qui le rendent incompatible avec les caractéristiques mêmes des variétés vendues par l’association. Ces conditions sont, pour les espèces potagères, au nombre de trois : Distinction, Homogénéité, Stabilité (DHS). Si les variétés anciennes conservées par Kokopelli sont bien distinctes, elles ne sont, en revanche, ni homogènes ni stables. En effet, leur patrimoine génétique n’est pas strictement identique et, par conséquent, les plants et fruits qui en sont issus ne sont pas exactement les mêmes. De plus, la base génétique de ces variétés, dites également “de population”, est très large, car elles sont le fruit de nombreux croisements entre individus. Si ceci leur confère une capacité d’adaptation et d’évolution au fil du temps et selon les terroirs, cela signifie également que ces variétés ne sont pas définitivement “fixées”. Leur stabilité, au sens de la réglementation, n’est donc pas assurée. Les variétés de Kokopelli ont par ailleurs le désagréable avantage d’être librement reproductibles, même si ce critère n’a rien d’officiel. En outre, il n’est pas inutile de préciser que les tarifs d’inscription au Catalogue sont prohibitifs (500 € en moyenne pour chaque variété, sans compter les droits annuels à payer pour les différents types d’examens obligatoires). En définitive, ce catalogue, initialement facultatif et ouvert à toutes les semences, est devenu, par une dérive administrative totalitaire, le pré carré exclusif des créations variétales issues de la recherche agronomique et protégées par un droit de propriété intellectuelle. En effet, il est intéressant de remarquer que les critères d’admission au catalogue sont les mêmes que ceux permettant d’obtenir un Certificat d’Obtention Végétale (COV). C’est ainsi que le catalogue est devenu un outil de promotion de ce droit de propriété particulier, et qu’il s’est progressivement fermé aux variétés, non appropriées, appartenant au domaine public. Sur le plan historique, cela s’explique par le fait que le “Registre” créé à l’origine pour protéger ces créations variétales n’ayant rencontré aucun succès, l’administration a accepté de faire droit aux revendications des semenciers professionnels et des instituts de recherche publique en organisant, avec le Catalogue et ses conditions d’inscription, le monopole de la semence hybride protégéequi présentait l’immense avantage, du point de vue commercial, de n’être pas reproductible et d’impliquer l’utilisation massive d’intrants chimiques. Au-delà de toute désobéissance civique, ce sont donc bien les conditions d’inscription au Catalogue Officiel, faites pour des types précis de semences uniquement, qui rendent impossible l’inscription des semences de KOKOPELLI au Catalogue. Sont-elles pour autant inintéressantes sur le plan agricole, commercial, ou nutritionnel ? Pas du tout, car leurs utilisateurs les plébiscitent, pour leur diversité de formes et de couleurs, leurs qualités gustatives, leurs richesses nutritionnelles, leur résistance aux maladies, leur résilience et leur productivité. La protection des consommateurs exige-t-elle alors que cette collection de variétés soit interdite à la vente ? Encore moins, dans un contexte d’érosion généralisée de nos ressources phytogénétiques, et alors que les variétés anciennes présentent de véritables atouts pour faire face aux changements climatiques.
  • De plus, il faut préciser que les conditions d’inscription au Catalogue n’ont rien à voir avec les exigences strictement sanitaires auxquelles les semences doivent satisfaire. En réalité, il convient ici de faire le constat de l’inadaptation de la réglementation à la diversité des modes d’activité agricole. Cependant, soyons lucides, cette situation résulte d’un processus d’inadaptation volontaire, largement motivé par les ambitions monopolistiques d’un secteur professionnel sur le marché tout entier, ainsi que par une volonté politique d’industrialisation et de mécanisation de la production agricole. Malheureusement, pendant la seconde moitié du siècle dernier, la France a réussi à imposer cette réglementation aussi bien au niveau international qu’en Europe, de sorte que ce totalitarisme, extrêmement pénalisant sur le plan de la biodiversité, est à l’œuvre dans tous les pays de l’Union et ailleurs. Précisons enfin que, si la France a créé un catalogue consacré aux “variétés amateurs” — lequel est présenté par nos institutions comme une panacée —, celui-ci ne règle nullement le problème puisque les conditions posées à son inscription sont les mêmes que pour le catalogue général et les tarifs d’inscription en sont restés rédhibitoires (250 € environ pour chaque variété). Il est de plus fort inopportunément destiné aux seuls jardiniers non professionnels.
  • Enfin, l’association a dénoncé le fait que le GNIS, qui ne tient d’aucune disposition législative ou réglementaire le droit de se constituer partie civile, n’avait aucune qualité pour agir. Et sur ce point, KOKOPELLI a eu gain de cause. En effet, la Cour de Cassation, dans un arrêt en date du 4 décembre 1989, avait déjà estimé que l’action civile du GNIS était irrecevable. Elle a donc rappelé, le 8 janvier 2008, que « cet organisme n’est pas habilité par une disposition particulière à exercer les droits de la partie civile à l’égard des infractions qui portent atteinte aux intérêts qu’il a pour mission de protéger ».

Cela est si vrai que le gouvernement français, à la suite de la décision de cassation, a déclaré publiquement ne pas vouloir mettre en recouvrement les sommes que Dominique GUILLET a été condamné à payer (même si, trois ans et huit mois plus tard, soit au mois d’octobre 2011, le Ministère Public a exigé tardivement le paiement de l’amende). Mises initialement en réserve, elles ont donc été employées à aider les peuples des pays du Sud, par la distribution gratuite de semences fertiles. Cela est si vrai encore que la FNPSP, piteusement magnanime, n’a pas réclamé son euro de dommages et intérêts et n’a pas non plus exigé la publication, dans les colonnes journalistiques de la profession, de la décision rendue par la Cour de Cassation… Sur le fond, et pour conclure, si nous pouvions espérer gagner avec des arguments tenant à des irrégularités de procédure ou des erreurs matérielles, le contenu même de la réglementation ne nous laissait guère d’espoir. En effet, ses principes d’exclusion et d’interdiction sont sans faille. De plus, la réglementation européenne ne nous est, dans ce domaine, d’aucun secours. C’est donc contre tout cet édifice juridique qu’il faut aujourd’hui s’élever, car dans ce domaine plus que dans tout autre, la Loi, qui signe l’abolition de la liberté, a démontré qu’elle pouvait être scélérate.

LA NOUVELLE DIRECTIVE SUR LES "VARIÉTÉS DE CONSERVATION" (DIRECTIVE 2009/145/CE DE LA COMMISSION)

Parue le 26 novembre 2009, elle est venue introduire dans le corpus juridique européen sur les semences certaines dérogations pour l’admission au Catalogue des « races primitives et variétés de légumes traditionnellement cultivées dans des localités et régions spécifiques et menacées d’érosion génétique, et des variétés de légumes sans valeur intrinsèque pour la production commerciale mais créée en vue de répondre à des conditions de culture particulières, ainsi que pour la commercialisation de semences de ces races primitives et variétés ». En apparence, son objectif est donc des plus louables. Le corps du texte révèle, cependant, une logique extrêmement restrictive, en contradiction évidente avec l’objectif de sauvegarde de la biodiversité qu’il est censé servir. Nous ne présenterons ici que quelques-unes des incohérences que présente ce texte. En effet, alors que les institutions internationales telles que la FAO  (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) avaient insisté sur la nécessité de procéder à la conservation in situ de la biodiversité, voulant dire en cela que la conservation ex-situ, c’est-à-dire dans des banques réfrigérées de semences, n’était pas suffisante et qu’il était indispensable de remettre de la diversité biologique dans les champs et dans les fermes, cette expression a été utilisée par la Commission Européenne et les représentants des États membres pour signifier la conservation dans LE milieu agricole où la variété considérée a acquis ses caractères distinctifs, à l’exclusion de tout autre.

  • De cette première limitation, va découler la première restriction, d’ordre géographique : la production et la commercialisation des “variétés de conservation” ne pourra se faire que dans leur région d’origine — celle-ci ne correspondant pas à la véritable région d’origine, mais à celle dans laquelle, ainsi qu’indiqué plus haut, la variété aurait acquis ses caractères distinctifs. Les États devront donc, pour chaque variété ancienne menacée d’érosion génétique, fixer une “région d’origine”, d’où ces mêmes variétés ne pourront pas sortir. En pratique, cela signifie que si la France faisait par exemple le constat de la quasi-disparition du navet dit “de Pardailhan”, malgré la gravité de ce constat, il ne serait pas admis d’en cultiver ou d’en vendre ailleurs que dans la région de Pardailhan.
  • La deuxième restriction, de taille, est d’ordre quantitatif : la quantité de semences de conservation commercialisée ne pourra pas excéder 0,5 % (0,3 % pour certaines espèces) de la quantité de semences de la même espèce utilisée sur tout le territoire d’un État membre au cours d’une période de végétation OU la quantité nécessaire pour ensemencer 100 ha (sur toute la surface agricole d’un État membre), si cette quantité est la plus importante. Les candidats à la production de ces semences de conservation devront donc se partager ces maigres quotas. En pratique, cela signifie, cette fois, que si des producteurs passionnés voulaient sauver, par exemple, un maïs oublié, ils ne pourraient le faire qu’à la condition que toutes leurs semences réunies ne suffisent pas pour semer plus de 100 hectares de ce maïs. Ces chiffres sont à mettre en parallèle avec ceux du Ministère de l’Agriculture : en France, quelques 25 millions d’hectares sont consacrés à l’agriculture, et environ 2,6 millions d’hectares sont dédiés chaque année à la culture du maïs (chiffres 2007). Les quotas alloués à ces “variétés de conservation” sont donc ridicules. Il est d’ailleurs possible de s’interroger sur la possibilité de générer, dans le cadre de ces dispositions, une activité économique viable.
  • C’est ainsi que ces semences, qui représentent un patrimoine précieux en voie de disparition, sont traitées comme si elles constituaient un danger. Le seul danger qu’elles présentent, pourtant, n’a rien qui puisse nuire aux consommateurs. Il s’agit en fait de l’autonomie que ces semences non hybrides, par leur reproductibilité naturelle, procurent aux paysans, des bénéfices que ceux-ci pourraient y trouver, et, en conséquence, des parts de marché qu’elles pourraient faire perdre à ceux qui bénéficient du monopole que leur confère le Catalogue Officiel. De plus, cette directive ne concerne pas la totalité des semences anciennes, qui ne sont pas toutes “menacées d’érosion génétique”. Dès lors, c’est encore l’immense majorité des variétés anciennes qui se trouve exclue du Catalogue, exclue du marché. C’est ainsi que les semences de KOKOPELLI continueront de se trouver stigmatisées par le totalitarisme de la réglementation, tant française qu’européenne.

SUR LES AUTRES FRONTS JUDICIAIRES

Les années qui ont suivi la décision de la Cour de Cassation n’ont donné aucun répit à l’association sur le plan juridique. La lutte sur ce front-là n’est pas terminée car les adversaires de la semence libre, malgré certains revers médiatiques, ne se sont pas encore avoués vaincus ; de sorte que l’association KOKOPELLI, qui doit encore faire face, redouble de courage et de persévérance. Le soutien que ses milliers d’adhérents et sympathisants lui témoignent d’année en année y est pour quelque chose, bien entendu.

Procès en cours contre la société BAUMAUX

Pour mémoire, la société GRAINES BAUMAUX a assigné l’association devant les juridictions civiles de NANCY, en 2005, sur le fondement de la “concurrence déloyale”. Ce concurrent de la semence conventionnelle prétend en effet que l’activité de KOKOPELLI, dont les semences ne sont pas inscrites au Catalogue Officiel, à la différence des siennes, lui causerait un préjudice. Il argue ainsi d’une “désorganisation du marché” de la semence et réclame pour cela une indemnité de 50.000 €. Notez sur ce point que, ne produisant aucune pièce comptable, il ne justifie d’aucun préjudice réel et chiffrable. Le tribunal, en première instance, et par une décision du 14 janvier 2008, lui a cependant octroyé une somme de 10.000 €. C’est la raison pour laquelle KOKOPELLI a fait appel de cette décision.

Ayant par ailleurs reçu, de la part de ses clients et d’autres opérateurs de la semence, de nombreuses expressions de désapprobation au sujet de sa démarche, la société BAUMAUX a également accusé KOKOPELLI “d’appel au boycott” et réclamait pour cela 50.000 € de plus. L’association n’avait pourtant incité personne, ni à l’oral ni à l’écrit, à réprimander son adversaire. C’est ce qu’a dûment constaté le tribunal de première instance. Sur ce point comme sur l’autre, BAUMAUX a cru bon de former un “appel reconventionnel” afin de pouvoir critiquer, lui aussi, le jugement de première instance et réclamer, à nouveau, la somme de 100.000 €.

Devant la Cour d’Appel de NANCY, le litige s’est tout d’abord engagé dans les mêmes termes que précédemment ; KOKOPELLI n’admettant pas le préjudice de BAUMAUX et dénonçant les dénigrements multiples dont elle est l’objet sur le site Internet de ce dernier, et BAUMAUX réclamant, à nouveau, les indemnités importantes auxquelles il croit avoir droit. Après réflexion, nous avons cependant pensé que le moment était venu de soulever la question, fondamentale, de la validité de la législation sur le commerce des semences au regard des principes fondamentaux qui régissent le droit européen. Il s’agit en effet de l’objet social même de l’association, qui lutte depuis sa création contre le totalitarisme de ce corpus juridique, mis au service des intérêts corporatistes des semenciers professionnels et de leurs dessins d’appropriation privée de tout le vivant cultivé.

Nous avons dès lors provoqué un “incident” devant la Cour, afin que celle-ci suspende le cours de la procédure et interroge la Cour de Justice de l’Union Européenne, par la voie d’une “question préjudicielle”, sur le respect, ou la violation, par les directives européennes concernant le commerce des semences potagères, de ce qui constitue le noyau dur de nos droits, c’est-à-dire les principes qui sont inscrits dans les Traités européens, et qui font office de Constitution pour nos institutions supraétatiques. En effet, seule la Cour de Justice de l’Union Européenne (dite uniquement “Cour de Justice”) est habilitée à invalider les textes de droit européen. Par une Ordonnance en date du 4 février 2011, la Cour d’Appel de NANCY a fait droit à notre demande. C’est donc aujourd’hui la Cour de Justice de l’Union Européenne qui se trouve saisie du débat et nous lui demandons d’invalider la législation européenne sur le commerce des semences.

Nous avons soulevé plusieurs arguments, pour tenter de la convaincre

Le premier a trait à la liberté du commerce et des activités économiques. En effet, l’action de KOKOPELLI est tout d’abord le cri d’alarme des opprimés et un appel à la liberté. N’en déplaise aux adeptes de la technocratie administrative, qui n’ont pas encore remarqué que les néolibéraux qu’ils honnissent n’ont plus rien de libéraux, car, ayant pris le contrôle de l’appareil d’État, ils ont instauré un capitalisme autoritaire, placé sous la férule de l’administration. Ainsi, il est malheureux de constater que ces pourfendeurs du libéralisme, par dogmatisme et dégoût pour l’ordre imposé par l’oligarchie capitaliste, et son étiquette “néolibérale” obsolète, ont eux-mêmes renoncé à la Liberté, pour la plus grande satisfaction, d’ailleurs, de leurs adversaires. KOKOPELLI n’est pas à ce point aveuglé par l’idéologie qu’elle n’ait pas fait le constat de cela. C’est pourquoi c’est avec l’esprit d’avant-garde qu’elle a toujours eu qu’elle revendique la liberté aujourd’hui, comme hier nos ancêtres l’ont fait contre la féodalité, de produire et distribuer les semences de vie que nous ont léguées les paysans du monde entier.

Or le système qui consiste à soumettre toute distribution de semences, selon une procédure extrêmement longue et coûteuse, et sans aucune justification en termes de risque pour la santé ou pour l’environnement, à une autorisation préalable de mise sur le marché, à l’image des produits de l’agrochimie ou de l’industrie pharmaceutique, nie cette liberté. Il ne vise en fait qu’à permettre l’existence sur le marché d’un nombre réduit d’acteurs.

Un tel système est de plus totalement disproportionné, dès lors qu’une procédure de déclaration préalable, assortie d’un contrôle a posteriori, ou même seulement des dispositions répressives en cas de tromperie manifeste sur la marchandise, aurait permis d’atteindre l’objectif affiché de loyauté dans les échanges et de bonne qualité sanitaire des semences.

Or le principe de proportionnalité, reconnu de longue date par la jurisprudence communautaire, prévoit précisément que les charges imposées aux opérateurs économiques ne doivent pas dépasser ce qui est strictement nécessaire pour atteindre les objectifs que l’autorité est tenue de réaliser.

Dans le même sens, la Cour de Justice vérifie, pour l’application de ce principe, que lorsqu’il s’agit d’apporter des restrictions à une liberté, que celles-ci sont légitimées par l’existence d’un “risque spécifique”. Ainsi, la mesure qui aurait pour conséquence de restreindre une liberté, comme la liberté du commerce par exemple, doit être « proportionnée aux objectifs poursuivis et que ces objectifs ne puissent pas être atteints par des mesures moins restrictives ». Cela a déjà été jugé à plusieurs reprises. Or ce n’est précisément pas le cas en ce qui concerne le commerce des semences.

Il semble donc que les principes combinés de liberté du commerce et de proportionnalité n’aient pas été respectés par le pouvoir réglementaire français puis par le législateur européen, qui n’a ici fait que copier l’initiative liberticide de la France.

Nous faisons également valoir le fait que la directive récente, n° 2009/145 du 26 novembre 2009, relative aux variétés « menacées d’érosion génétique », que l’association KOKOPELLI a si longtemps attendu et dont le contenu est si décevant, viole le principe d’égalité, ou de non-discrimination, lequel commande de « traiter différemment des situations différentes ».

En effet, cette directive, qui avait vocation à favoriser la production des semences dite “de conservation”, celles-ci se trouvant en danger d’extinction, en limite en fait considérablement la commercialisation, par des restrictions géographiques et quantitatives inouïes, de manière à ce qu’elles ne soient jamais susceptibles de concurrencer le secteur des semences modernes conventionnelles. C’est donc une application a contrario qu’elle fait du principe d’égalité. Il en résulte une condamnation de ces variétés à la disparition.

De plus, l’interdiction de cultiver et de distribuer ces semences en dehors de leur “région d’origine” est contraire au principe de libre circulation des marchandises sur le territoire de l’Union Européenne.

Enfin, nous avons tenu à rappeler que l’Europe s’est engagée, par la signature le 6 juin 2002 du Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l’Alimentation et l’Agriculture (TIRPAA), à reconnaître aux agriculteurs les droits de « conserver, utiliser, échanger et vendre des semences de ferme et d’autres matériels de multiplication ». Or ni les Directives 2002/53/CE et 2002/55/CE, ni la Directive 2009/145, relative aux semences dites “de conservation”, ne tient pas compte de ces engagements, car, encore une fois, elles n’ont fait qu’interdire l’accès des variétés potagères anciennes, non homogènes et non protégées par des droits de propriété intellectuelle, au Catalogue Officiel et à la commercialisation.

Ce sont autant de questions auxquelles nous voudrions voir la Cour de Justice apporter une réponse.

Dans ses écritures devant cette Cour, la société GRAINES BAUMAUX a affiché un certain cynisme. En particulier, nous avons été sidérés de lire que, à rebours de tout ce dont la FAO a attesté, la biodiversité cultivée en Europe ne s’était jamais mieux portée qu’aujourd’hui, que la législation imposant l’inscription des semences au Catalogue commun était le meilleur instrument de la promotion de cette biodiversité et qu’une seule et même vision du “progrès génétique”, portée par les parangons de l’agriculture intensive, pouvait valablement être imposée à tous les agriculteurs et à tous les consommateurs.

Par ailleurs, nous avons été surpris de constater que, parmi les adversaires de KOKOPELLI devant la Cour européenne, nous devions compter, en dehors de la société BAUMAUX et la Commission Européenne bien entendu, la République française encore une fois, le Conseil de l’Union Européenne et le Royaume d’Espagne.

L’emprise des lobbys semenciers sur certains États membres de l’Union se révèle ici au grand jour

Cependant, face aux enjeux importants que représente cette procédure, nous avons également reçu du soutien, de la part de ceux qui se trouve, dans d’autres États de l’Union Européenne, dans la même situation que la nôtre. Aussi tenons-nous à remercier chaleureusement l’Irish Seed Savers Association (ISSA – IRLANDE), Heritage Seed Library, (GRANDE-BRETAGNE), The Real Seed Collection Ltd. (GRANDE-BRETAGNE), EcoRuralis (ROUMANIE), Peliti (GRECE), et l’association LONGO MAÏ (FRANCE).

Ces acteurs, dédiés comme Kokopelli à la conservation de la biodiversité semencière, sont contraints, pour poursuivre leur activité et tenter d’éviter des ennuis administratifs ou judiciaires, de s’abriter derrière des montages juridiques fragiles ou de s’en remettre à la tolérance précaire de leurs gouvernements nationaux. Cette situation absurde n’a que trop duré.

Par décision du 11 octobre 2011, la Cour a désigné les juges appelés à siéger dans cette affaire, de même que l’avocat général, et a décidé de statuer sans audience de plaidoiries.

Nous nous plaçons donc dans l’attente de cette décision. En tout état de cause, saluons d’ors et déjà le courage et la persévérance de l’association, car personne avant l’association KOKOPELLI n’avait osé poser le problème en ces termes et la Cour de Justice n’a jamais été saisie d’une telle demande concernant la législation sur les semences. L’échéance est donc importante.

Espérons qu’elle permettra de mettre un “coup de pied dans la fourmilière” de ces géants de l’agrochimie et de la semence, qui ont fait de l’outil législatif l’une de leurs méthodes de conquête des marchés.

  • Utilisation de la marque “tomate Kokopelli” par la société GRAINES BAUMAUX : L’année 2010 a également vu la société GRAINES BAUMAUX baptiser, dans son catalogue de printemps, l’un de ses produits “tomate Kokopelli”, après avoir fait inscrire cette marque à l’INPI en 2007.
    Vous avez été nombreux, comme nous, à être consternés par cette initiative. Si nous avons tenu à nous exprimer immédiatement à ce sujet, afin surtout de ne pas entretenir l’idée, véhiculée par certains, que l’association aurait “pactisé avec l’ennemi”, la discrétion nous impose de reporter à demain toute nouvelle communication au sujet d’une éventuelle réaction de la part de KOKOPELLI.
  • Les assauts du Sieur BAUMAUX contre KOKOPELLI ne s’en sont pas tenus là cette année : nous avons également constaté que sa société avait fait main basse sur tous les “Adwords” (mots clés utilisés sur les moteurs de recherche et menant vers des sites commerciaux) se rapportant, de près ou de loin, à KOKOPELLI.GRAINES BAUMAUX s’est donc offert les mots clés “Association Kokopelli”, “graines Kokopelli”, “semences Kokopelli”, “Kokopelli”, “semences bio”, etc, et ce sur les moteurs de recherche Google, Voilà et Orange. Rien que ça ! Cela signifie que lorsque vous tapez ces mots sur votre ordinateur, le premier lien commercial qui s’affiche vous mène tout naturellement vers le site de la société BAUMAUX, qui, soit dit en passant, ne vend que très peu de semences bios.

Mais Monsieur BAUMAUX n’est plus à ça près, nous en conviendrons tous.

PREMIER ENCART

Pourquoi les variétés commercialisées par KOKOPELLI n’étaient-elles donc pas inscrites au Catalogue Officiel ?

En vérité, ce catalogue, qui fait la part belle aux variétés technologiques, pose des conditions à son accès qui le rendent incompatible avec les caractéristiques mêmes des variétés vendues par l’association, librement reproductibles, mais également non homogènes – puisque les fruits, sur un même plant, ne sont pas exactement identiques les uns aux autres – et capables d’adaptation et d’évolution en fonction des terroirs où elles seront plantées. Au surplus, les tarifs d’inscription au Catalogue sont prohibitifs (500 euros en moyenne pour chaque variété, sans compter les droits annuels à payer pour les différents types d’examens obligatoires). En définitive, ce catalogue, initialement facultatif et ouvert à toutes les semences, est devenu, par une dérive administrative totalitaire, le pré carré exclusif des créations variétales issues de la recherche agronomique. Le Registre créé à l’origine pour protéger ces créations variétales n’ayant rencontré aucun succès, l’administration a accepté de faire droit aux revendications des semenciers professionnels et des instituts de recherche publics en organisant, avec le Catalogue et ses conditions d’inscription, le monopole de la semence hybride — qui présentait l’immense avantage, du point de vue commercial, de n’être pas reproductible et d’impliquer l’utilisation massive d’intrants chimiques. Au-delà de la désobéissance civile, ce sont donc bien les conditions d’inscription au Catalogue Officiel, faites pour des types précis de semences uniquement, qui rendent impossible l’inscription des semences de KOKOPELLI au Catalogue. Sont-elles pour autant inintéressantes sur le plan agricole, commercial, ou nutritionnel ? Pas du tout, car leurs utilisateurs les plébiscitent, pour leur diversité de formes et de couleurs, leurs qualités gustatives, leurs richesses nutritionnelles, leur résistance aux maladies, leur résilience et leur productivité. La protection des consommateurs exige-t-elle alors que cette collection de variétés soit interdite à la vente ? Encore moins, dans un contexte d’érosion généralisée de nos ressources phytogénétiques, et alors que les variétés anciennes présentent de véritables atouts pour faire face aux changements climatiques. De plus, il faut préciser que les conditions d’inscription au Catalogue n’ont rien à voir avec les exigences strictement sanitaires auxquelles les semences doivent satisfaire.

En réalité, il convient ici de faire le constat de l’inadaptation de la réglementation à la diversité des modes d’activité agricole. Cependant, soyons lucides, cette situation résulte d’un processus d’inadaptation volontaire, largement motivé par les ambitions monopolistiques d’un secteur professionnel sur le marché tout entier, ainsi que par une volonté politique d’industrialisation et de mécanisation de la production agricole.

Malheureusement, pendant la seconde moitié du siècle dernier, la France a réussi à imposer cette réglementation aussi bien au niveau international qu’en Europe, de sorte que ce totalitarisme, extrêmement pénalisant sur le plan de la biodiversité, est à l’œuvre dans tous les pays de l’Union et ailleurs.

Précisons enfin que, si la France a créé un catalogue consacré aux “variétés amateurs” — lequel est présenté par nos institutions comme une panacée —, celui-ci ne règle nullement le problème puisque les conditions posées à son inscription sont les mêmes que pour le catalogue général et les tarifs d’inscription en sont restés rédhibitoires (250,49 € pour chaque variété, en 2008). Il est de plus fort inopportunément destiné aux seuls jardiniers non professionnels.

SECOND ENCART

La nouvelle directive sur les "variétés de conservation” (Directive 2008/62/CE de la Commission Européenne)

Parue le 20 juin 2008, elle vient introduire dans le corpus juridique européen sur les semences certaines dérogations pour l’admission au Catalogue des « races primitives et variétés agricoles naturellement adaptées aux conditions locales et régionales et menacées d’érosion génétique ».

En apparence, son objectif est donc des plus louables. Le corps du texte révèle, cependant, une logique extrêmement restrictive, en contradiction évidente avec l’objectif de sauvegarde de la biodiversité qu’il est censé servir. Nous ne présenterons ici que quelques-unes des incohérences que présente ce texte.

En effet, alors que les institutions internationales telles que la FAO avaient insisté sur la nécessité de procéder à la conservation in situ de la biodiversité, voulant dire en cela que la conservation ex-situ, c’est-à-dire dans des banques réfrigérées de semences, n’était pas suffisante et qu’il était indispensable de remettre de la diversité biologique dans les champs et dans les fermes, cette expression a été utilisée par la Commission Européenne et les représentants des États membres pour signifier la conservation dans LE milieu agricole où la variété considérée a acquis ses caractères distinctifs, à l’exclusion de tout autre.

  • De cette première limitation, va découler la première restriction, d’ordre géographique : la production et la commercialisation des variétés de conservation ne pourra se faire que dans leur région d’origine — celle-ci ne correspondant pas à la véritable région d’origine, mais à celle dans laquelle, ainsi qu’indiqué plus haut, la variété aurait acquis ses caractères distinctifs.Les États devront donc, pour chaque variété ancienne menacée d’érosion génétique, fixer une “région d’origine”, d’où ces mêmes variétés ne pourront sortir. En pratique, cela signifie que si la France faisait par exemple le constat de la quasi-disparition du navet dit “de Pardailhan”, malgré la gravité de ce constat, il ne serait pas admis d’en cultiver ou d’en vendre ailleurs que dans la région de Pardailhan.
  • La deuxième restriction, de taille, est d’ordre quantitatif : la quantité de semences de conservation commercialisée ne pourra pas excéder 0,5 % (0,3 % pour certaines espèces) de la quantité de semences de la même espèce utilisée sur tout le territoire d’un État membre au cours d’une période de végétation OU la quantité nécessaire pour ensemencer 100 ha (sur toute la surface agricole d’un État membre), si cette quantité est la plus importante. Les candidats à la production de ces semences de conservation devront donc se partager ces maigres quotas. En pratique, cela signifie, cette fois, que si des producteurs passionnés voulaient sauver, par exemple, un maïs oublié, ils ne pourraient le faire qu’à la condition que toutes leurs semences réunies ne suffisent pas pour semer plus de 100 hectares de ce maïs.

Ces chiffres sont à mettre en parallèle avec ceux du Ministère de l’Agriculture : en France, quelque 25 millions d’hectares sont consacrés à l’agriculture, et environ 2,6 millions d’hectares sont dédiés.

C’est ainsi que ces semences, qui représentent un patrimoine précieux en voie de disparition, sont traitées comme si elles constituaient un danger. Le seul danger qu’elles présentent, pourtant, n’a rien qui puisse nuire aux consommateurs. Il s’agit en fait de l’autonomie que ces semences non hybrides, par leur reproductibilité naturelle, procurent aux paysans, des bénéfices que ceux-ci pourraient y trouver, et, en conséquence, des parts de marché qu’elles pourraient faire perdre à ceux qui bénéficient du monopole que leur confère le Catalogue Officiel.chaque année à la culture du maïs (chiffres 2007). Les quotas alloués à ces “variétés de conservation” sont donc ridicules. Il est d’ailleurs possible de s’interroger sur la possibilité de générer, dans le cadre de ces dispositions, une activité économique viable.

De plus, cette directive ne concerne pas la totalité des semences anciennes, qui ne sont pas toutes “menacées d’érosion génétique”. Dès lors, c’est encore toute une catégorie de semences qui se trouve exclue du Catalogue, exclue du marché. C’est ainsi que les semences de KOKOPELLI, dont quelques dizaines seulement seraient susceptibles de répondre aux critères posés par la directive, continueront de se trouver stigmatisées par le totalitarisme de la réglementation, tant française qu’européenne.

 


Article rédigé par Blanche MAGARINOS-REY
Avocate
D.E.A. Droit de l’Environnement
D.E.S.S. Droits de l’Urbanisme et des Travaux Publics
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Blanche-MAGARINOS-REY-Avocate